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Lettre ouverte d'une infirmière sur le silence des média ...



Madame,
Monsieur,

Ce matin, les infirmières se réveillent avec la gueule de bois en découvrant qu’un Arrêté Royal permettant à des professionnels de la santé non-infirmier de pratiquer des actes de l’Art Infirmier, en situation de pandémie de COVID-19.

La sortie de l’AR 2020 04 19 exercice de l'art infirmier par du personnel non qualifié, a déjà entraîné de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux de la part des praticiens de l’Art Infirmier.

Bien que la charge de travail pendant la pandémie COVID-19 soit élevée et que certaines structures ou certains services ont été/sont confrontés à une pénurie de personnel infirmier, les praticiens infirmiers ne comprennent pas les positions prises dans l’AR 2020 04 19. Un sentiment de non-valorisation de l’Art Infirmier prédomine dans les réactions sur les réseaux sociaux.

En lisant cet AR, plusieurs aspects peuvent être soulignés :
- Aucune distinction n’est faite quant au type d’acte « délégué » (acte nécessitant ou non une prescription, actes confiés par un médecin à un infirmier).
- Aucune distinction n’est faite quant au type de qualification du professionnel de la santé non infirmiers (ex. médecin, kiné, sage-femme, dentiste,…). Ces professionnels ont des formations de base et donc des compétences différentes.
- L’AR stipule qu’une formation préalable à l’acte doit être donnée par un infirmier ou un médecin. Le fait de recevoir une formation n’implique pas automatiquement la maîtrise de l’acte technique. Comment s’assurer que le professionnel de la santé soit réellement compétant pour réaliser cet acte ? De plus, organiser une formation adéquate demande également du temps et de détacher un infirmier ou un médecin pour l’animer et ceci dans un contexte de charge de travail déjà élevé.
- La responsabilité de l’acte délégué pose également question. Qui sera responsable de l’acte infirmier pratiqué par un professionnel de la santé non-infirmier ? Comment accepter d’endosser cette responsabilité alors que rien n’atteste au préalable des compétences de la personne par rapport à cet acte technique ?
- L’AR stipule que le professionnel de la santé non-infirmier doit agir en bon père de famille et refuser de pratiquer l’acte s’il ne se juge pas compétent. L’infirmier a-t-il le droit de refuser de déléguer un acte de l’Art Infirmier s’il juge la personne non compétente ?
- Les étudiants bacheliers en soins infirmiers ne sont pas mentionnés dans cet AR. Il serait intéressant de leur donner un cadre juridique propre. Nous rappelons que de nombreux étudiants se sont portés volontaires pour prêter main forte aux différentes équipes pendant la pandémie.

Il est louable que le législateur veuille créer un cadre légal afin d’éviter la pénurie de personnel infirmier pendant la pandémie, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la qualité des soins. Une revalorisation des études (bachelier et spécialisations) et de la profession infirmière ainsi que des conditions de travail serait une réponse plus appropriée à long terme et ce pour augmenter l’attrait de la profession mais surtout d’éviter le départ précoce de personnel qualifié.

Personnellement je déplore le silence assourdissant des médias télévisuels quant à cette problématique. Cet AR a été promulgué sans concertation avec les représentants de l’Art Infirmier, nous mettant devant le fait accompli.

Depuis le début de l’épidémie les infirmiers sont en première ligne que ce soit dans le secteur hospitalier ou extra-hospitalier. Ils sont confrontés quotidiennement à la peur, leur peur, celle de leurs collègues, celles des patients et de leurs proches. Ils travaillent dans des conditions difficiles entre autre dû à un manque de matériel de protection adapté (ce problème semble néanmoins peu à peu se résoudre). Les infirmiers sont confrontés à un véritable drame humain, accompagnant des patients isolés de leur proche dans leurs derniers moments de vie. Vu la pandémie ces infirmiers n’ont pas eu le temps de faire le deuil de chaque patient décédé et ont continué à prodiguer leurs soins, leur ART, aux nouveaux patients. Dans ces circonstances, Madame, Monsieur, la pilule est particulièrement amère à avaler que leur ART soit ainsi dévalorisé et que le monde des médias (francophone et néerlandophone) ne semble pas juger cela comme une priorité pour y consacrer le temps ou l’espace adéquat.

La profession infirmière est appréciée de la population (pour preuve les applaudissements à 20h) mais n’est pas valorisée par les politiques et apparemment pas par les médias non plus. Une des valeurs soutenant notre profession est de « placer le patient et ses proches au centre de nos préoccupations ». Cette valeur fondamentale est la raison pour laquelle nous avons des difficultés à poser des préavis de grève. Comment nous faire entendre en cette période de pandémie sans prendre nos patients en otage ? Vous, « les médias » pouvez montrer votre soutien aux praticiens de l’Art Infirmier, en portant notre voix auprès de la population et des politiques.

Je vous remercie de l’attention que vous apporterez à ce courriel,
W. S. (infirmière enseignante)

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